1er jour de défrichage - les abattoirs à Nice - Possibilité d'une liberté

C’est un espace de bitume, de rouille, de verres cassés, de mousse, de poussière, de décrépitude. Un univers quadrillé par des barrières, des cubes de béton et de la ferraille. La nature s’incruste dans le peu d’espace libre. La crasse sur les vitres obstrue la lumière et les bâtiments entonnent la complainte de la douce libération, livrés au temps qui passe, délivrés de leur horrible utilité d’antan.

Une porte grillagée s’ouvre et nous entamons le chemin des bêtes. L’antre du diable aurait-été plus accueillant. Le son y résonne comme dans une église, des marches pour l’ascension de l’être à deux pattes, une rampe pour  les quatre pattes. Des crochets, des enclos, de la terreur et toujours cette odeur animale imprégnée dans les murs, même après toutes ces années d’abandon. On s’abandonne au jeu morbide, marchant dans les traces des cochons et des vaches menés à l’électrocution, s’imaginant le sang coulé dans les bassins, pénétrants toujours plus loin dans le memento mori. Se préservant, nous fermons les vannes empathiques, contrôlant nos glottes et nos réflexes nauséeux. Nous passerons cinq jours en ces lieux. Du gris, des grilles, du grillage, le sol jonché de fientes, les seuls autochtones roucoulent. Chaque gouttière devient volière : le nid de la dernière chaleur. Danger de mort est inscrit sur les portes, il reste ici et là du vieux mobilier et des objets, des livres de comptes, des manifestes de la tuerie rentable, une table, une brouette, une blouse blanche. Et ce silence... Ponctué par les battements d’ailes sifflants des pigeons et le ronronnement lointain des voitures, il pousse à la méditation.

La prise de contact nous vide de notre énergie, on s’accroche au vivant, aux danseurs. La beauté de la chair est absorbée par les murs crasseux. Le beau n’est pas fait pour survivre en ces lieux. C’est l’endroit où tout ce qui vit est voué au meurtre.
Les danseurs se donnent à fond, interprètent la confrontation, la peur, la soumission, le tremblement, l’amour, la fusion… La performance est intense, ils absorbent, transcendent, transforment et redistribuent. C’est une bataille qui fait perdurer la liberté et la vie dans ce système bâillonné où l’architecture est pensée pour tuer...


Défrichage aux abattoirs de Nice - Workshop de Décembre 2014 - Les Urbains de Minuit invités par la Cie Antipodes. - Texte initialement publié ici http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups?ac_id=5035

Commentaires